Le Canada bénéficie d’atouts enviables : des ressources abondantes, des talents certifiés et l’accès à un marché majeur. Pourtant, la productivité du travail stagne. Il en résulte une diminution de plus en plus importante de la prospérité : le PIB réel par habitant diminue et l’écart avec les États-Unis se creuse (voir l’encadré « Définitions clés »). Au cours des dernières années, le pourcentage du chèque de paie consacré à l’épicerie, au loyer et aux impôts a augmenté, sans que les salaires n’aient suivi le rythme. Dans le langage des économistes, la productivité stagne.
Il ne s’agit pas d’un choc temporaire. Depuis plus de 10 ans, les investissements se sont déplacés vers des secteurs à plus faible productivité et orientés sur le marché intérieur, au détriment d’une plus grande exportation de ressources, de services et de produits industriels de pointe.
Rattraper le retard est possible, mais requiert un rythme de croissance sans précédent, doublé de mesures énergiques. Le présent rapport trace une voie potentielle permettant d’atteindre environ 80 pour cent du PIB américain par habitant d’ici 2035 (Figure 1). Emprunter cette voie nécessitera de poser des gestes audacieux tels que nous n’en avons pas vu depuis des décennies. Pour rendre le projet réalisable, nous proposons cinq tests pour sélectionner les initiatives susceptibles d’accroître la productivité nationale et quatre domaines prioritaires qui, bien qu’historiquement ambitieux, pourraient remettre le Canada sur la bonne voie.
Nous mettons également en évidence certains compromis essentiels que les Canadiens devront faire alors que le pays abordera la prochaine décennie. Bien que ces choix soient difficiles, il y a un coût à l’inaction. Si le Canada poursuit sa trajectoire économique actuelle, la situation des Canadiens de tous âges se sera encore détériorée en 2035. Cependant, si le Canada parvient à augmenter le PIB tel que présenté dans ce rapport grâce à la croissance de secteurs actuels et la création de nouveaux, le ménage type pourrait disposer de 16 000 dollars supplémentaires d’ici 2035 et les jeunes Canadiens auraient accès à des emplois de qualité bien rémunérés.
Le Canada dispose des atouts nécessaires pour prospérer économiquement
Le Canada est une nation unique, en ce qu’elle est stable, privilégiée et riche en débouchés. En effet, la Banque mondiale classe le Canada au 23e rang mondial pour la facilité de faire des affaires1, tandis que l’organisme Transparency International le place dans le décile supérieur des pays figurant à son tableau d’honneur2. Il occupe en outre un rang élevé en termes de qualité de vie, se retrouvant souvent parmi les cinq premiers à l’échelle mondiale3, et Calgary et Vancouver figurent parmi les dix premières villes du classement mondial pour la qualité de vie établi par l’Economist Intelligence Unit4 (un organisme qui évalue les villes sur la base de critères tels que la stabilité, les soins de santé et l’environnement).
Le Canada bénéficie également d’importantes ressources naturelles : pétrole, gaz naturel, minéraux essentiels (nickel, lithium, cobalt), bois d’œuvre et eau douce. En ce qui concerne les réserves de ressources, le Canada se classe parmi les cinq premiers pays au monde pour la potasse, l’or, le pétrole, l’uranium, le bois de construction et l’eau douce. L’accès au marché est renforcé par des barrières commerciales peu élevées, des voies maritimes sur trois côtes5 et 15 accords commerciaux avec 51 pays.
Le Canada dispose aussi de fonds de pension stables et performants et occupe la première place pour la transparence en matière de retraite. Il bénéficie en outre d’un accès privilégié à des milliards de capitaux privés, ayant le deuxième plus important flux d’investissements étrangers nets parmi les pays du G7. Cependant, une partie de ces investissements jouit d’un soutien gouvernemental qui pourrait ne pas être viable à long terme6.
Enfin, le Canada compte l’une des populations actives les plus instruites au monde, 65 pour cent des Canadiens âgés entre 25 et 64 ans ayant fait des études supérieures7. En outre, le pays affiche l’un des taux de main-d’œuvre féminine les plus élevés du G7; plus de 70 pour cent des femmes âgées entre 15 et 64 ans ont un emploi8. Selon la Banque mondiale, le Canada se classe parmi les cinq premiers pays au monde sur le plan du capital humain, ce qui reflète les possibilités d’accès à l’éducation supérieure9 offertes par d’excellentes universités canadiennes, dont trois figurent au classement mondial 2025 des 50 meilleures universités selon la publication Times Higher Education10.
Mais récemment, l’économie canadienne se laisse distancer
En dépit de ses forces, la performance du pays s’est érodée. Bien que le PIB continue de croître, le PIB réel par habitant a diminué de 1,3 pour cent en 2023 et de 1,4 pour cent en 2024 (Figure 2), plaçant le pays presque au bas du classement du G7 à ce chapitre11. Sur une période plus longue, la productivité du travail (PIB par heure travaillée) est restée généralement stable, contribuant à faire reculer le Canada au chapitre de la productivité, le faisant passer d’une position parmi les dix premiers pays de l’OCDE au début des années 80, à un rang au milieu de la dizaine supérieure en 2022. La productivité—c’est-à-dire la valeur générée par heure—est un élément clé d’une économie nationale prospère. Elle favorise la prospérité et la résilience sur les plans individuel et collectif. La croissance de la productivité est essentielle pour maintenir et améliorer le niveau de vie, la sécurité nationale, les services sociaux, les soins de santé et les normes environnementales12.
Une comparaison de la productivité et de la prospérité du Canada avec celles de son voisin le plus proche, les États-Unis, montre d’importants écarts entre les deux pays (voir l’encadré « Pourquoi les États-Unis constituent une base de comparaison pertinente »). Le PIB par habitant du Canada se situe maintenant à près de 75 pour cent de celui des États-Unis13, en baisse par rapport au niveau d’environ 90 pour cent qu’il était en 2010 (Figure 3). La productivité du travail (PIB par heure travaillée) est d’environ 30 pour cent inférieure à celle des États-Unis (Figure 4)14. Le dollar canadien (CAD) s’est établi en moyenne à environ 0,71 dollar américain (USD) par CAD au premier semestre de 2025, équivalant à peu près à 1,41 CAD par dollar US15. Le salaire médian au Canada est inférieur d’environ sept dollars de l’heure à celui des États-Unis, même après l’ajustement pour la parité de pouvoir d’achat16. La dette brute du gouvernement s’élevait à environ 107 pour cent du PIB en 2024, par rapport à 89 pour cent en 2010, et le service de la dette publique représentait 8,7 pour cent des dépenses consolidées de l’État en 2023, faisant figurer cette charge parmi les cinq principaux postes budgétaires17.
Bien que ces données puissent sembler abstraites, les ménages canadiens ressentent bel et bien la pression. La part des dépenses non discrétionnaires est passée de 53 pour cent en 2010, à 56 pour cent en 2024, pendant que la portion discrétionnaire a diminué de 20 à 14 pour cent (Figure 5). La dette des ménages sur le marché du crédit a atteint 174 pour cent du revenu disponible au premier trimestre de 2025, en hausse par rapport à environ 165 pour cent en 201018. De plus, dans une enquête réalisée au printemps 2024, 45 pour cent des Canadiens ont déclaré éprouver des difficultés à payer leurs dépenses courantes. Depuis 2024, les taux marginaux d’impôt fédéral et provincial combinés dépassent 53,5 pour cent au Québec et en Nouvelle-Écosse, comparativement à un taux maximal de 37 pour cent pour les impôts combinés (fédéral et États) aux États-Unis19.
Les perturbations externes n’expliquent pas à elles seules le déclin économique du Canada
Que s’est-il passé? Si les défis actuels du Canada peuvent être comparés à des perturbations externes, telles que la crise financière mondiale (2007-2009) ou la pandémie de COVID-19 (2020-2023), la tendance actuelle est plus généralisée que les ralentissements causés par ces événements. Plus spécifiquement, rien n’indique clairement que le Canada pourra rétablir la situation à court terme. En effet, la cause sous-jacente des difficultés économiques du Canada est plus profonde que ces chocs externes; elle a été créée de l’interne et découle d’un changement fondamental d’orientation de l’économie nationale.
Pendant de nombreuses années, la croissance du PIB et la prospérité du Canada ont été stimulées par les exportations de ressources naturelles avec les États-Unis, son principal partenaire commercial. Mais récemment, la croissance a davantage reposé sur le marché intérieur, lequel est relativement restreint (Figure 6). Le Canada ne représente qu’environ 0,5 pour cent de la population mondiale, comparativement à 17,2 pour cent pour la Chine, 5,5 pour cent pour l’Union européenne et 4,1 pour cent pour les États-Unis.
Non seulement le Canada a-t-il vu diminuer sa part du commerce de ressources avec l’étranger, mais il a également manqué des occasions d’étendre sa présence dans des secteurs qui ont procuré une croissance considérable à des économies similaires. Des exemples de ces secteurs de croissance comprennent entre autres la technologie, les exportations de services et la fabrication de pointe.
Les exportations de ressources naturelles ont diminué au Canada malgré une croissance de la demande mondiale
Les politiques nationales, associées à l’incertitude réglementaire, ont entraîné une baisse des investissements, ce qui a eu pour effet d’entraver la capacité du Canada à participer à la croissance du secteur des matières premières qui a contribué à la prospérité d’autres pays. Les investissements dans les industries d’extraction ont décliné de 15 pour cent entre 2010 et 2023, et de nombreux projets énergétiques canadiens ont été annulés ou reportés depuis 2014 (Figure 7). Ce constat est préoccupant si l’on tient compte que les investissements sont responsables de 80 pour cent de la croissance de la productivité20 et qu’ils sont largement considérés comme le meilleur indicateur de compétitivité d’un pays sur la scène internationale.
Alors que les exportations de ressources ont diminué ou sont demeurées au point mort, aucun autre secteur d’exportation offrant des occasions d’investissement attrayantes n’est venu combler le vide (Figure 8). Les investissements restants ont été orientés vers des secteurs axés sur le marché intérieur, principalement l’immobilier.
Les investissements se sont déplacés vers des secteurs nationaux à faible productivité
Pourquoi une économie reposant de plus en plus sur les industries nationales représente-t-elle un problème pour le Canada? Parce que les exportations ont généré (et pourraient continuer de le faire) une forte croissance de la productivité, tandis que les industries nationales sur lesquelles le Canada se concentre présentement affichent une croissance de la productivité nettement inférieure, sont limitées par la taille du marché intérieur et offrent peu d’incitations à une plus grande productivité. La productivité du secteur minier, pétrolier et gazier a augmenté d’environ 20 pour cent entre 2014 et 2023, et celle du secteur agricole d’environ 10 pour cent (Figure 8)21. En revanche, le secteur immobilier a vu sa productivité stagner au cours de la même période, tandis que la construction et les services publics ont enregistré une baisse de 10 pour cent22.
Le Canada n’a pas créé de nouveaux secteurs d’exportation de manière significative
Un autre défi auquel le Canada a dû faire face est son incapacité à tirer parti de la croissance de nouveaux secteurs clés. Dans de nombreux domaines liés à l’innovation et à la création de connaissances, le Canada surpasse ses pairs. Par exemple, sa part mondiale des publications évaluées par les pairs était de 4,0 pour cent en 2024, soit deux fois sa part du PIB mondial (2,0 pour cent). Qui plus est, il compte le plus grand nombre de bénéficiaires de capital-risque, de même que le plus grand nombre d’accords de coentreprises et d’alliances stratégiques23. Le Canada figure également parmi les meilleurs pays pour la qualité de ses universités (4e rang) et l’impact de ses publications scientifiques (également au 4e rang)24.
Malgré ces distinctions, le Canada n’arrive qu’au 14e rang de l’indice mondial de l’innovation, une indication que le pays est en retard au chapitre de la commercialisation et de la mise en œuvre. Plus précisément, le niveau de production du Canada en matière d’innovation (mesuré d’après le nombre de brevets ou les exportations technologiques) ne correspond pas à son niveau d’investissement (lequel est mesuré par la qualité de ses universités et l’impact de ses publications scientifiques). Par exemple, la part canadienne des dépôts mondiaux de brevets n’est que de 1,3 pour cent, un déficit important par rapport à sa part de 4,0 pour cent des publications ayant un comité de lecture (Figure 9). En d’autres mots, les connaissances supérieures du Canada ne se traduisent pas toujours par des innovations reconnues et par une croissance économique.
L’une des raisons de ce déficit est que le marché intérieur restreint du Canada permet aux entreprises de survivre sans avoir à faire concurrence à l’échelle mondiale. Une autre raison est que le Canada peine à attirer les meilleurs talents en raison de ses salaires moins élevés comparativement à ceux des États-Unis. Par exemple, une personne travaillant dans le domaine de la technologie dans la région californienne de la baie de San Francisco pourrait gagner environ deux fois plus que si elle occupait le même poste à Toronto; il est par conséquent plus difficile pour les entreprises des secteurs basés sur les connaissances de prospérer au niveau national et de s’étendre aux marchés d’exportation.
La décennie à mille milliards de dollars du Canada
Que faudra-t-il donc faire pour renverser la tendance et remettre le Canada, et plus important encore les Canadiens, sur la voie d’une croissance saine et durable de la productivité? Pour brosser un portrait de l’ampleur du défi, nous avons élaboré un modèle de productivité qui traduit les objectifs généraux de productivité en exigences concrètes pour les principaux groupes sectoriels de l’économie canadienne, utilisant comme référence les projections actuelles du Fonds monétaire international (FMI) pour le Canada. Ce modèle se veut diagnostique plutôt que normatif. Il ne vise pas à établir un plan directeur pour une réforme de l’économie canadienne. Notre intention est plutôt de donner une idée de l’ampleur des mesures qui seraient nécessaires pour faire progresser de manière significative la croissance de la productivité.
En 2010, le PIB par habitant du Canada représentait environ 90 pour cent de celui des États-Unis; aujourd’hui, il est plus près de 75 pour cent. Selon notre analyse, pour retourner au niveau de 90 pour cent d’ici 2035, le Canada doit renverser la récente tendance à la baisse et croître au rythme de 3,0 pour cent par année—soit l’équivalent de 1 000 à 1 500 milliards de PIB supplémentaire (ajusté en fonction de l’inflation et du pouvoir d’achat). Dans une économie mature, un tel revirement est irréalisable s’il ne s’accompagne pas d’une croissance démographique substantielle. Un objectif plus réaliste, tout en demeurant très ambitieux, serait d’atteindre la barre des 80 pour cent d’ici 2035, en supposant une hausse de la productivité américaine de 1,5 pour cent par année. Ceci implique une croissance annuelle du PIB réel par habitant de 2,0 pour le Canada entre 2025 et 2035—soit un cran au-dessus du scénario de référence de 1,3 pour cent établi par le FMI (Figure 10) 25.
Nous estimons que la croissance de référence générerait environ 0,4 mille milliards (un billion) de dollars en PIB supplémentaire d’ici 2035, mais il faudrait encore 0,5 billion de plus pour atteindre 80 pour cent.
Relever la barre en matière de productivité nationale. À l’heure actuelle, nous estimons que la productivité du Canada est de deux à trois fois moindre que celle des États-Unis dans certains secteurs. Augmenter la productivité dans l’ensemble de l’économie canadienne pour atteindre 80 pour cent de la productivité américaine en mettant l’accent sur les secteurs orientés vers le marché intérieur pourrait contribuer à jusqu’à 200 milliards de dollars. Ceci impliquerait des changements majeurs, par exemple tripler la productivité des secteurs des télécommunications et des services publics, doubler celle des services d’hébergement, accroître la productivité du commerce de détail de 25 pour cent et celle du secteur manufacturier de 30 pour cent.
Accroître les exportations actuelles de ressources. Le Canada jouit d’avantages concurrentiels dans les secteurs axés sur l’exportation tels que l’agriculture, le pétrole, le gaz et les minéraux critiques. S’il développait ses exportations dans les secteurs où il dispose d’un avantage concurrentiel et où la demande mondiale dépasse l’offre, cela se traduirait par une augmentation incrémentielle du PIB de l’ordre de 150 milliards de dollars d’ici 2035. Exploiter ce potentiel nécessiterait une expansion significative de l’activité économique : une augmentation de 20 pour cent de la production agricole contribuerait 15 milliards de dollars supplémentaires, une augmentation de 70 pour cent de la production pétrolière, 85 milliards, et l’ajout de six nouveaux terminaux de GNL, 20 milliards, alors qu’une modeste croissance de la production de cuivre, de zinc, de nickel, de cobalt et de titanium ajouterait deux milliards.
L’expansion des exportations devrait s’accompagner d’un plan d’infrastructure et d’accès aux marchés afin d’acheminer les produits canadiens vers les marchés les plus rentables et de diversifier les flux commerciaux. Tirer le plein avantage des ressources canadiennes nécessiterait une augmentation des capacités d’extraction et l’expansion d’infrastructures pertinentes, telles que des pipelines et des terminaux, tout en respectant les besoins et les préoccupations de l’ensemble des parties prenantes et en maintenant des normes environnementales et éthiques élevées.
Diversifier les exportations. Aujourd’hui, les firmes canadiennes de services professionnels et techniques se concentrent principalement sur le marché intérieur. Par conséquent, les exportations canadiennes de services ne représentaient que sept pour cent du PIB en 2023, comparativement à 20 pour cent dans d’autres économies développées comme le Royaume-Uni26. Le Canada dispose de nombreux avantages qui lui permettraient de prospérer sur les marchés d’exportation, notamment des universités et des diplômes d’études solides et reconnus à l’échelle mondiale, ainsi qu’un écosystème mature de services professionnels et financiers. L’expansion des exportations dans ces domaines pourrait augmenter la valeur ajoutée brute (VAB) par employé de 45 pour cent, libérant ainsi quelque 100 milliards de dollars de PIB supplémentaire.
Bâtir les industries de demain. L’économie mondiale est en pleine transformation. Un récent rapport du McKinsey Global Institute a identifié 18 domaines à forte croissance, dont l’IA et le commerce électronique, qui devraient générer 48 billions de dollars de revenus à l’échelle mondiale d’ici 2040. Le Canada est déjà présent dans sept d’entre eux. Accroître la participation du Canada à la croissance de ces domaines d’activité pourrait ajouter 100 milliards de dollars supplémentaires au PIB au cours de cette décennie, avec le potentiel de stimuler l’économie encore davantage au cours des prochaines décennies.
Passer de la parole aux actes : Les cinq tests
Pour remettre le Canada sur le chemin d’une saine croissance de la productivité, revoir la répartition de la « tarte économique » ou en augmenter une part pour en réduire une autre ne suffira pas. En fait, il faut que la tarte elle-même grossisse—dans des proportions importantes, et rapidement. Des initiatives graduelles et à petite échelle ne permettront pas au PIB canadien d’atteindre la cible de 80 pour cent du PIB par habitant des États-Unis. L’ampleur du défi exige une concentration d’efforts, un rythme soutenu et des investissements de la part d’entreprises de toutes tailles et de tous les paliers de gouvernement.
Bien qu’il y ait abondance d’idées sur la façon de réformer l’économie du Canada, celles-ci ne sont pas toutes susceptibles d’avoir un impact significatif sur la croissance de la productivité. Par conséquent, plutôt que d’ajouter nos propres idées à cette liste, nous avons choisi de proposer un cadre permettant de hiérarchiser les propositions en fonction de leur capacité à générer des gains de productivité substantiels, afin que le Canada puisse se concentrer sur celles qui auront un réel impact. En nous basant sur la recherche mondiale de McKinsey et sur notre propre analyse approfondie de l’économie canadienne, nous avons conçu cinq tests qui peuvent aider les décideurs à déterminer quelles nouvelles initiatives sont susceptibles de produire des gains de productivité substantiels.
Test 1 : Cela créera-t-il de la valeur de manière significative pour les Canadiens?
Les initiatives permettront-elles d’ajouter environ 450 milliards de dollars supplémentaires de revenus d’ici 2035?
Notre modèle de productivité montre que pour atteindre 80 pour cent de la croissance des États-Unis d’ici 2035, il faudrait ajouter environ un billion (mille milliards) de dollars au PIB réel, le faisant passer de 3,6 billions de dollars qu’il était en 2024, à 4,7 billions en 2035. Cela représenterait environ 450 milliards dollars de revenus supplémentaires, soit presque l’équivalent des revenus actuels des dix plus grandes sociétés canadiennes—pour stimuler la croissance nécessaire du PIB. Réaliser ce niveau de croissance exige de créer de la valeur dans l’ensemble des chaînes de valeur et des secteurs de l’économie.
Test 2 : Cela nous permet-il de tirer parti d’un avantage distinct?
Les secteurs visés bénéficient-ils d’un avantage comparatif durable?
La croissance future ne pourra être soutenue que si elle repose sur des domaines d’activité dans lesquels nous disposons d’un avantage comparatif ou concurrentiel. Le Canada dispose de plusieurs ressources naturelles qu’il peut commercialiser à un prix compétitif à l’échelle mondiale. En outre, certaines matières premières, telles que l’aluminium canadien, offrent l’avantage supplémentaire d’être produites avec une plus faible intensité carbonique.
Au-delà du secteur des ressources, le Canada peut compter sur des entreprises hautement performantes dans des secteurs pouvant être promus mondialement, notamment le commerce de détail et de gros et les services. Soutenir la croissance dans les secteurs présentant un avantage démontré par rapport à la concurrence permettra d’obtenir une croissance durable à long terme.
Test 3 : Cela fera-t-il du Canada un pays encore plus propice aux affaires?
Les efforts permettent-ils d’accélérer les délais de construction, de diminuer le coût pour mener des affaires et/ou de réduire le coût du capital ajusté au risque?
Nous avons assisté au fil du temps à une superposition progressive de la réglementation canadienne aux paliers de législation provinciaux et fédéral, ce qui a accru la complexité et le climat d’incertitude. Le Canada pourrait devenir plus attrayant pour les investisseurs s’il concentrait ses efforts pour améliorer ces deux aspects. La politique fiscale est un autre facteur clé dans l’attraction d’investissements, lorsque comparée à des juridictions similaires. Les structures fiscales devraient être conçues de manière à être attrayantes tant en termes de viabilité à court terme que de sécurité à long terme. L’abolition des obstacles à la concurrence et l’intégration des marchés constituent des catalyseurs supplémentaires qui peuvent stimuler l’efficacité des entreprises et permettre aux plus performantes de prospérer. Les efforts visant à éliminer les obstacles à l’accès aux talents dans les secteurs ciblés s’avéreront quant à eux un facteur déterminant pour permettre aux nouvelles entreprises de grandir et d’améliorer les compétences des Canadiens afin que ceux-ci aient accès à de nouveaux emplois bien rémunérés.
Test 4 : Cela encouragera-t-il l’innovation et l’amélioration de la productivité?
Les entreprises sont-elles incitées à percer sur les marchés mondiaux et à demeurer compétitives?
L’écart de productivité dans les secteurs nationaux entraîne un ralentissement général de l’économie et nuit à l’incubation d’entreprises capables de grandir et de devenir des « championnes ». L’amélioration de la productivité nationale devrait se traduire par des produits à plus forte valeur ajoutée et à moindre coût pour les Canadiens, permettant aux entreprises canadiennes de générer plus de valeur. Pour réaliser ces gains de productivité, il faut rapidement et de façon généralisée tirer parti des technologies, participer aux segments à plus forte valeur ajoutée de la chaîne de valeur, requalifier la main-d’œuvre et ajuster les stratégies en matière d’emploi, notamment en réaffectant les effectifs entre les différents secteurs.
Par exemple, l’utilisation de l’IA générative est un exemple d’innovation pouvant entraîner des gains de productivité à deux chiffres. Les entreprises qui inventent de nouveaux produits et processus réalisent des marges bénéficiaires plus élevées et peuvent réinvestir les profits dans de meilleurs équipements et logiciels, ainsi que dans de meilleurs talents. Pour déclencher ce cercle vertueux, il faut plus d’investissements pour mettre les entreprises à niveau, inciter plus fortement la R et D dans le secteur privé et créer des voies de commercialisation plus accessibles entre la recherche et l’industrie. Lorsque les marchés récompensent les entreprises les plus efficaces en facilitant leur expansion à la fois entre les provinces et à l’étranger, celles-ci investissent dans de l’équipement moderne, adoptent l’IA et les systèmes de données et créent des marques mondiales.
Test 5 : Cela permettra-t-il au Canada de croître dans des secteurs autres que ceux de son portefeuille actuel?
La croissance se situera-t-elle dans des domaines qui permettront de diversifier l’économie canadienne dans des secteurs ayant un potentiel de croissance future?
Le Canada dispose d’une base économique solide et d’un potentiel de croissance considérable, mais continuer sur la même voie ne suffira pas pour atteindre l’objectif de 80 pour cent. En outre, diversifier l’économie pour y inclure la croissance de secteurs non liés aux ressources et des secteurs à fort potentiel de croissance future consolidera l’économie du Canada et prémunira sa base commerciale contre les chocs potentiels.
Le McKinsey Global Institute a identifié 18 secteurs à forte croissance qui devraient générer 48 billions de dollars US en revenus mondiaux et six billions de dollars US en profits d’ici 2040. Des exemples de ces secteurs comprennent le commerce électronique, l’IA, les semiconducteurs, les services infonuagiques, les véhicules électriques, l’aérospatiale et la cybersécurité. Pour atteindre la cible de 80 pour cent, le Canada devra accroître sa participation dans ces secteurs hautement dynamiques.
Le pays occupe déjà une position enviable dans les logiciels et services d’IA, le commerce électronique et les semiconducteurs. Par exemple, la part actuelle du Canada dans les revenus mondiaux liés à l’IA, l’un des plus dynamiques dans le monde, est actuellement de l’ordre de huit pour cent27. D’ici 2040, les revenus découlant de l’IA pourraient atteindre plus de quatre billions de dollars, comparativement aux 85 milliards de 2022. Et, bien que la part mondiale du Canada dans le commerce électronique représente actuellement moins d’un pour cent, celle-ci croît rapidement, à un taux supérieur à 40 pour cent (TCAC pour la période de 2019 à 2024)28. Les revenus générés par le commerce électronique mondial devraient quintupler au cours des prochaines décennies, passant de quatre billions de dollars en 2022 à quelque 20 billions en 204029. S’il tire parti de sa position avantageuse, le Canada pourrait devenir un acteur important sur l’échiquier mondial dans ces domaines.
Outre les secteurs en ébullition où le Canada est déjà en bonne position, il existe d’autres domaines tout aussi prometteurs dans lesquels le pays pourrait accroître sa portée actuelle. Ceux-ci comprennent les services infonuagiques, les véhicules électriques, l’aérospatiale et la cybersécurité. Les revenus des services infonuagiques mondiaux, par exemple, pourraient décupler au cours des prochaines années, passant de 270 milliards USD (en 2023) à trois billions en 2040.
Dès que la productivité repartira en flèche, tous les Canadiens en bénéficieront
Les initiatives qui satisfont à la plupart des tests présentés dans la section précédente peuvent avoir un impact significatif et durable sur la productivité en préparant le Canada à une croissance future solide, plutôt qu’à des gains rapides mais éphémères. Bien que ces tests soient conçus pour inciter le Canada à réaliser son plein potentiel, ils soulèvent également des questionnements difficiles concernant l’engagement du pays envers la productivité et les compromis qu’ils impliquent. Comment le Canada peut-il concilier l’augmentation de la production de ressources et les droits des communautés autochtones, la protection adéquate de l’environnement et la préservation de la biodiversité? Dans quelle mesure les Canadiens sont-ils prêts à sacrifier leur confort actuel et leurs gains économiques à court terme au profit d’une croissance et d’une résilience durables? Comment le Canada peut-il encourager ses entreprises « en tête de peloton » et les investissements en innovations tout en assurant une juste répartition des richesses, et en particulier un accès équitable aux services publics?
Si le Canada poursuit sa trajectoire économique actuelle, la situation des Canadiens de tous âges se sera encore détériorée en 2035. Déjà confrontés à un endettement plus élevé et à un patrimoine net inférieur à celui de leurs parents, les jeunes Canadiens auront du mal à payer leurs factures et encore plus à acheter ou construire une maison. En outre, le vieillissement de la population compliquera le maintien de soins de haute qualité pour les aînés au pays30. Et on prévoit que le rapport de dépendance démographique augmentera de 31 à 38 pour cent d’ici 2035, ce qui signifie qu’une part croissante de la valeur générée par la population active devra servir à subvenir aux besoins des Canadiens qui ne seront plus sur le marché du travail.
Toutefois, si le Canada renoue avec une saine croissance de sa productivité, tous les Canadiens en profiteront. Selon le scénario du 80 pour cent, le revenu médian net des ménages pourrait augmenter de jusqu’à 16 000 dollars en dollars constants de 2024 d’ici 2035. La croissance des salaires pourrait à nouveau dépasser l’augmentation du coût de la vie, et les inégalités pourraient être jugulées. Dans un marché intérieur plus concurrentiel, les Canadiens profiteraient d’un plus grand choix de produits et de services à de meilleurs prix. Des soins de qualité pourraient être maintenus pour les aînés en dépit des changements démographiques. De façon générale, le gouvernement disposerait d’une plus grande marge de manœuvre pour investir dans des soins de santé, des services éducatifs, des infrastructures et des programmes sociaux de classe mondiale, ainsi que dans la transition vers une économie à faible émission de carbone. Les futures générations pourraient jouir du niveau de vie enviable que la plupart des Canadiens ont connu jusqu’à récemment et dont plusieurs profitent encore aujourd’hui.
Une croissance économique transversale pourrait se traduire par le développement économique de tout le pays. Cela pourrait inclure des améliorations et l’agrandissement des ports, des chantiers navals et des infrastructures extracôtières à l’est et à l’ouest du pays; des pôles à faibles émissions de carbone tirant parti de leur position de leader au Québec et en Colombie-Britannique; une extraction durable accrue des ressources en Alberta ainsi que dans les provinces des Prairies, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. De plus, cela pourrait créer des emplois bien rémunérés dans les domaines de l’IA, des technologies et autres secteurs connexes dans toutes les grandes régions métropolitaines au pays.
Si le Canada parvient à inverser la tendance actuelle, chacun y gagnera, et ce même si les vents contraires s’accentuent. Mais pour que cela réussisse, toutes les parties prenantes doivent mettre l’épaule à la roue. Un tel changement ne peut se produire que lorsque les entreprises privées, les investisseurs et les gouvernements travaillent de concert. Le moment est venu pour le Canada de tirer parti de ses atouts pour profiter de nouveaux débouchés et faire entrer le pays dans une ère de prospérité durable.